Covid-19, un autre fossoyeur de l’Ecole ivoirienne
Education nationale et enseignement supérieur / Covid-19, un autre fossoyeur de l’Ecole ivoirienne
L’Ecole ivoirienne continue sa plongée en enfer. Minée depuis plusieurs années par des maux presqu’incurables, malgré la recherche, bon gré mal gré, de remèdes par les acteurs du système éducatif, l’Ecole ivoirienne, en particulier, subit cette année 2020, une autre crise sans précédent. La crise sanitaire liée à la Covid-19 est un argument de plus pour maintenir l’école dans l’agonie. Et pourtant…
La Côte d’Ivoire, comme la plupart des pays du monde entier, n’a pas été épargnée par la pandémie de la Covid-19. Avec son cortège de morts et de désolations. Les secteurs clés dont l’économie, la santé, l’agriculture, l’Education, etc. n’ont pas été ménagés. Economie au ralenti, système de santé éprouvé, écoles fermées… tels sont les spectacles de désolation auxquels sont confrontés les Etats et leurs populations depuis fin 2019. La crise sanitaire liée à la Covid-19 continue de faire parler d’elle en mal, au point où le secteur éducation-formation en Côte d’Ivoire qui cherchait ses repères est presqu’à genoux.
L’Ecole ivoirienne en souffrance avant la Covid-19
Loin de vouloir jouer à l’avocat du diable, le journal L’Ecole a toujours déploré et dénoncé les maux qui minent l’Ecole ivoirienne. A preuve, dans son numéro 005, face aux grèves à répétition tant au niveau de l’Education nationale que dans l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, il a appelé de tous ses vœux à la tenue des états généraux de l’Ecole ivoirienne. Car, la situation étant très critique. Sur 9 mois d’année scolaire et universitaire, en 2019, plus de 4 mois ont été consacrés aux troubles scolaires et universitaires dus aux grèves intempestives et aux appels à l’observation d’année blanche. Parce qu’au niveau de l’Education nationale, les syndicats comme la Cosefci de Pacôme Attaby, de l’Iseepci de David Bli Blé, du Midd de Mesmin Komoé,… l’on revendiquait des conditions meilleures de travail en général. Même son de cloche au niveau de l’Enseignement supérieur où la Cnec de Johnson Kouassi Zamina, en tant que syndicat leader, criait à l’injustice avec le soutien d’autres organisations syndicales telles que le Codec, le Sylec, le Synares, l’Unaref… désormais regroupés au saint d’une plate-forme dénommée Plate-forme des Organisations et Syndicats d’Enseignants-Chercheurs et Chercheurs de Côte d’Ivoire (Posec-Ci) pour mieux coordonner leurs revendications. Même si les examens à grands tirages, au niveau du Ministère de l’Education nationale, se sont plus ou moins bien déroulés dans un climat apaisé en 2019, il n’en demeure pas moins que le feu couve toujours. Etant donné que les résultats de concertation pour accorder les violons sont restés bloqués sur la table du Premier ministre jusqu’à présent, au niveau du Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle (Menetfp). Et au niveau du Ministère de l’Enseignement supérieur, les promesses faites par l’ex-ministre Albert Mabri Toikeusse, après les rencontre avec les organisations syndicales et des parents d’étudiants ainsi que les partenaires n’ont jamais connu un début d’exécution. A preuve, au niveau du Ministère de l’Education nationale, des enseignants grévistes qui ont vu, même leurs comptes d’épargne bloqués (du jamais vu), continuent de réclamer leurs salaires de mai 2019, de janvier et février 2020. A l’enseignement supérieur, c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Car, des enseignants de la Cnec réclamaient en mai dernier, 14 mois de salaires impayés. Ceux dont certains ont été suspendus, radiés, même emprisonnés à la suite de manifestation de mécontentement contre la gestion du président de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, ont vu leurs salaires suspendus même après la levée et la suppression des sanctions. Du côté des étudiants, tout comme les enseignants la situation n’est pas reluisante. Parce que les conditions de travail sont selon eux exécrables. En témoigne les propos de l’actuel président de la Fesci, Saint-Clair Allah. Pas de wifi sur les universités alors que l’on parle de migration au système Lmd, des salles de Travaux dirigés (Td) sans matériels, des étudiants qui ont élu domicile dans les amphis parce qu’ils n’ont pas de dortoirs etc., sans oublier que dans le privé, les fondateurs réclamaient leurs dus à l’Etat suite à des arriérés pour non-respect de la convention qui était elle aussi devenue caduque dans son applicabilité. En tout cas, les choses ne sont pas aussi miroitantes pour les enseignants du privé dont les salaires sont payés à la tête du client et sur bonne foi de l’employeur ou du fondateur. Que de problème !
Des élèves sans repère
Dans cette grisaille, l’Ecole ivoirienne fait face, de plus en plus, à une catégorie d’élèves et d’étudiants. Comme souvent filmés et lancés sur les réseaux sociaux, des salles de classes sont devenues des lieux de libertinage sexuel. Dès élèves en train de faire l’amour devant leurs camarades qui les filment. Si ce n’est pas le cas, ce sont des élèves qui, cigarettes en mains, n’hésitent pas à se faire livrer de la drogue aux abords des établissements. Sinon, l’on les retrouve dans les maquis en tenues scolaires en train de boire des bouteilles de bières et de liqueurs qu’ils n’hésitent pas à brandir comme des trophées de guerre. Parfois en compagnie de leurs professeurs. L’Ecole ivoirienne, c’est aussi les effectifs pléthoriques qui font que des enfants jusqu’en classe de CM2 écrivent difficilement leur nom ou ne savent pas lire du tout. Et cela les suit comme leur propre ombre jusqu’en classe de troisième, voire de terminale.
Des recrutements d’enseignants au rabais
L’Ecole ivoirienne, jadis lieu de prédilection des élèves et étudiants des autres pays de la sous-région, voire de l’Afrique blanche, a perdu cette référence d’école leader telle que l’avait promue le président Houphouët-Boigny. Aujourd’hui, c’est à peine que le pays reçoit des étudiants d’autres pays. Mieux, les parents qui ont les moyens préfèrent envoyer leurs progénitures pour étudier dans le Maghreb (Egypte, Tunisie, Maroc), ailleurs aux Etats-Unis et en Europe. Ici en Côte d’Ivoire, certains parents préfèrent également scolarisés leurs enfants dans les écoles primaires et secondaires privées de référence. Quand, au niveau universitaires, les moyennement nantis prennent d’assaut les universités privées en partenariat avec les écoles européennes et américaines pour inscrire leurs enfants. Seuls les fils de paysans, moins riches et les gens de petits métiers et les fonctionnaires, n’ayant pas de bons salaires, sont obligés de laisser leurs enfants dans les écoles publiques et universités publiques. Principalement au niveau du primaire qui est la base même de l’éducation scolaire et universitaire, c’est la déchéance. Depuis quelque temps, c’est le recrutement d’enseignant sans véritable niveau. Un recrutement à deux vitesses et au rabais. Comment peut-on avoir une bonne éducation ou une bonne formation avec des enseignants recrutés avec le niveau troisième qui parfois ne savent ni parler le français et ni écrire correctement en français ?
L’amplification du phénomène de la tricherie
Un autre fléau qui mine et menace fortement l’Ecole ivoirienne, c’est la tricherie. Il fait corps avec cette nouvelle génération d’élèves presque inconscients qui pensent que leur avenir se trouve dans la facilité. Ne dit-on pas que « L’on récolte que ce qu’il a semé » ? En Côte d’Ivoire, il faut inscrire désormais, la tricherie à l’école sur la liste des fléaux des temps modernes. Parce que toutes les astuces sont mises en œuvre par les adeptes de la tricherie pour réussir le coup parfait. Parfois avec la complicité des parents. Ils ont l’imagination très fertile pour arriver à leur fin. Certains élèves donnent l’impression qu’ils prennent l’année scolaire à se former à comment tricher le jour de l’examen que de se consacrer à étudier leurs leçons. Les chiffres de la tricherie aux examens à grands tirages du Bepc et du Bac, lors de l’année scolaire 2018-2019, donnent un coup de froid dans le dos. Selon la Commission nationale de discipline des examens du Bepc et du Bac, ce sont 6 835 tricheurs qui ont été épinglés à cet effet. Pour la première fois dans l’histoire du Bac en Côte d’Ivoire, des diplômes de Bac ont été estampillés Fraude. Même cette année, c’est un rebelote. Des tricheurs qui utilisent les moyens techniques des temps modernes. Les téléphones portables Android aux multiples fonctionnalités sont les plus prisés et adulés.
La Covid-19, le dernier fossoyeur
L’Ecole ivoirienne est plus qu’en danger avec l’avènement de la crise sanitaire de la Covid-19. Trois mois ont été perdus cette année. Pour les classes d’examen comme les classes de passages, des leçons, à l’avantage des enseignants paresseux, n’ont pas pu être abordés. Un véritable handicap. Car, que vaut un élève sans véritable connaissance ? C’est le pire. Parce que si l’on décriait déjà que l’Ecole ivoirienne battait de l’aile, cette aile a été, selon des observateurs de la vie éducative ivoirienne, sectionnée par la crise de la Covid-19. Même avec l’effort du Ministère de l’Education nationale de garder le cap avec son programme ‘‘Mon école à la Maison’’, l’Ecole ivoirienne est loin de retrouver ses marques. Car, les écoliers ont été libérés plutôt que prévu sans avoir achevé le programme scolaire. Un retard qui sera difficilement rattrapable. Car cette pandémie est loin de trouver solution. Dans certains pays développés, les déconfinements sont sur le point d’être supprimés au profit d’un autre confinement. En Côte d’Ivoire également, les observations continuent. Car, il s’agit de voir si les rentrées scolaire et estudiantine 2020-2021 seront possibles ou pas. En somme, l’ombre de la Covid-19, en tant que frein aux activités économiques, financières, agricoles… et éducatives, plane toujours sur les pays, en général, et la Côte d’Ivoire, en particulier. Et c’est plus que jamais que l’Ecole ivoirienne continue sa marche vers l’hécatombe.
Benoît Kadjo
Encadré : Pourquoi ne pas profiter !
Ne dit-on pas souvent que : « Le malheur des uns fait le bonheur des autres » ? Plus que jamais, l’avènement de la Covid-19 ne doit pas être vu comme un événement négatif pour l’Ecole ivoirienne. Mais une situation qui interpelle à remettre en cause le système scolaire et universitaire. Sans vouloir cacher le soleil avec la main, l’Ecole ivoirienne, connaissaient des difficultés dont certaines ont été citées plus haut. Il n’est pas question de laisser ces problèmes perdurés ou se perpétués. Il ne s’agit pas de laisser cette école aller à vau-l’eau. « C’est dans le malheur que souvent, on voit ses vrais amis », dit l’adage. Il est temps de laver le linge sale en famille. Afin que chacun puisse effectivement se donner corps et âme à rebâtir notre école qui a plus que jamais besoin de retrouver son image d’antan. Le gouvernement doit voir les problèmes des enseignants du privé, les revendications des enseignants du public, au sujet de leurs prime de logement au moins, les questions d’équipement des universités publiques de Wifi à bon débit et disponible, la subvention aux universités et grandes écoles privées pour développer le téléenseignement etc. C’est à ce prix que la Côte d’Ivoire ne verra plus ternir davantage l’image de son école. Ce n’est pas les moyens qui manquent. Il faut simplement que la volonté politique y soit.
BK